Fortement imprégné de la chaleur moite tropicale et l’odeur de terre humide qu’elle véhicule, j’avais une pensée pour ces pêcheurs qui usent leur vie à la recherche de bancs de poissons ou de gros poissons solitaires, qui leur permettraient de ramener un souvent maigre salaire à la maison. Il faut rembourser les dettes, faire vivre une famille… Et pourtant ce sont eux qui prennent tous les risques sur un bateau, quand au fond du fleuve hostile, il faut plonger pour dégager le filet accroché à une souche. Quand il faut se mettre à l’eau pour dégager un embâcle afin d’ouvrir la voie à une pirogue lourde des filets, plombs et batteries de voiture pour l’éclairage de nuit, au risque chavirer et de tout perdre… C’est donc au port qu’ils se reposent, peuvent enfin manger correctement, et réparer les filets déchirés par les branches, ou troués par les carnassiers qui viennent voler les poissons qui s’y sont pris.
« Puis il a commencé à avoir pitié du grand poisson qu’il avait accroché. Il est merveilleux et étrange et qui sait quel âge il a, pensa-t-il. Jamais je n’ai eu un poisson aussi fort ni un poisson qui ait agi de manière aussi étrange. Peut-être est-il trop sage pour sauter. Il pouvait me ruiner en sautant ou par une ruée sauvage. Mais peut-être a-t-il été accroché plusieurs fois auparavant et il sait que c’est ainsi qu’il devrait se battre. Il ne peut pas savoir que c’est un seul homme contre lui, ni que c’est un vieil homme. Mais quel grand poisson il est et qu’apportera-t-il au marché si la chair est bonne. Il a pris l’appât comme un mâle et il tire comme un mâle et son combat n’a pas de panique. Je me demande s’il a des projets ou s’il est aussi désespéré que moi? » Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer (1952)